L'autre Sens du Sens

Penser à l'envers pour voir clair.

Silvano Stabile

a group of white and black dice
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Sur la longue route des croisades qui conduisirent les pèlerinages chrétiens vers les plus lointaines contrées orientales au XIIème siècle, une expédition fit halte au palais qui dominait la ville de Al-Zahra en Syrie. Là, alors que les gardiens occupaient leurs loisirs à jouer aux dés, les notables voyageurs se demandèrent qui, si ce n’était la main de Dieu, arrêtait la position finale des dés puisqu’ils étaient lancés par des mains infidèles et hérétiques ? Ainsi naquit la notion de hasard qui désigna dès lors ce qui n’était pas déterminé par la main de Dieu.

La pensée humaine ayant fait quelque chemin depuis cette époque lointaine et pieuse, il est devenu courant dans les croyances populaires d’admettre que le hasard n’existe pas et que tout ce qui survient est forcément porteur de sens, si toutefois l’on sait lire les choses dans le bon sens. Mais c’est bien de direction qu’il s’agit si l’on étend ce questionnement à des domaines plus techniques, telles que la science ou la psychologie comportementale. Que cela soit en physique, en biologie, et plus encore aujourd’hui avec la physique quantique, il est deux notions qui domineront la pensée du chercheur, c’est celles de hasard et de nécessité. Pour une traduction simple de ce concept, disons qu’il est nombres de phénomènes qui surviennent de manière fortuite, et que ce n’est qu’après, dans l’observation, que l’on donne le sens à ces occurrences, ce que l’on appelle la nécessité. Un peu comme trouver un roc dans la jungle et lui trouver ensuite de multiples usages : le roc n’a pas été créé pour casser des noix, assommer des animaux à distance, être taillé pour ensuite couper, il était là fortuitement et ce n’est qu’ensuite qu’on lui a inventé une nécessité.

Si l’on ne prend pas conscience de cette inversion du sens des choses, c’est-à-dire confondre la cause et l’effet, nous sommes au risque de devoir affronter nombre de complications dans nos relations aux autres et au monde en général. Interrogez-vous alors la prochaine fois que quelqu’un viendra vous expliquer que personne ne l’aime, est-ce que réellement cette personne ne peut inspirer quelque compassion à quiconque, ou ne voit-elle, ne provoque-t-elle pas autour d’elle que ce qui viendra confirmer sa croyance ?

Les choses n’auraient donc pas de sens en soi, tout ne serait que fortuit, la réalité n’en est pas moins réelle (et brutale parfois). Mais si l’on prend conscience de l’influence primordiale que nous-mêmes, individus, êtres de raison, avons sur les évènements et leur signification, nous pouvons, même dans une moindre mesure et à la force de notre bien-penser, donner une tournure, un sens, favorables aux choses. L’autre sens du sens, par exemple, nous ferait dire ceci : « Ce n’est pas parce que c’est difficile que je n’ose pas, c’est parce que je n’ose pas que c’est difficile ».